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CNRS LE JOURNAL, DÉCEMBRE 2014

Les observatoires volcanologiques auscultent les volcans actifs pour faire progresser la compréhension de ces systèmes complexes. En Guadeloupe, l’observation régulière des émanations gazeuses de la Soufrière vient ainsi nous éclairer sur le fonctionnement de ce volcan.

En septembre dernier, le réveil brutal du mont Ontake, au Japon, rappelait au monde entier le caractère imprévisible des phénomènes volcaniques. « Les signes annonciateurs de la catastrophe tels que les séismes provoqués par la déformation du volcan ou la perception d’une forte odeur soufrée semblent ne s’être manifestés que quelques minutes avant le début de l’éruption », précise Benoît Villemant, professeur de géochimie à l’UPMC1. Ce scientifique qui étudie depuis plusieurs années les émanations gazeuses de la Soufrière de la Guadeloupe sait à quel point il est difficile d’anticiper le réveil de ces volcans associés à des zones de subduction

Pour tenter de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans leurs entrailles, Benoît Villemant et ses collègues de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) se sont lancés, il y a un an, dans une analyse sans précédent : passer en revue 35 années de surveillance géochimique des sources chaudes et des fumerolles de la Soufrière. « Jamais une étude en continu de cette nature n’avait été réalisée sur une échelle de temps aussi longue », souligne le chercheur.

Un type d’éruption peut en cacher un autre

Ces travaux inédits, publiés en septembre 2014 dans Journal of Volcanology and Geothermal Research2, ont notamment permis de réinterpréter les deux dernières crises volcaniques qui ont ébranlé l’île de la Guadeloupe. La plus spectaculaire d’entre elles, survenue en 1976, était jusqu’ici assimilée à une simple éruption phréatique. Mais, selon notre spécialiste en géochimie, la présence d’acide chlorhydrique dans les panaches gazeux et celle de chlore dans les eaux thermales du volcan accréditent un tout autre scénario : « Le fait de retrouver ces éléments dans les prélèvements réalisés à l’époque indique que cette activité volcanique de type phréatique était probablement associée à une remontée de magma vers la surface. » Autrement dit, le risque que survienne une éruption volcanique de plus grande ampleur était alors bien réel.

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L’étude montre ensuite que l’intrusion de magma vers la surface aurait repris à partir de 1992, après une période d’accalmie d’une quinzaine d’années. Cette année-là, un panache de vapeur réapparaît au sommet de la Soufrière. Bien que moins intense que l’éruption de 1976, ce nouveau soubresaut du volcan a incité les scientifiques à maintenir leur vigilance : « Mener un suivi des signaux géochimiques contenus dans les fumerolles et les sources hydrothermales de la Soufrière sur le long terme est primordial pour espérer comprendre le fonctionnement interne de ce volcan, assure Benoît Villemant. Dans ce domaine, de nombreuses années d’observation supplémentaires seront sans doute nécessaires avant de pouvoir déchiffrer les signes avant-coureurs d’une possible éruption. »

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Martinique, Guadeloupe, La Réunion : trois observatoires à la pointe

Parce qu’elles impliquent l’appui logistique d’un observatoire volcanologique, les études de cette envergure restent cependant exceptionnelles. Encore trop peu nombreux à l’échelle du globe, ces dispositifs équipent cependant depuis de nombreuses années les trois volcans actifs français. Le premier à voir le jour a été celui de l’île de la Martinique, il y a plus d’un siècle. Son installation sur les pentes de la montagne Pelée a suivi la célèbre éruption de 1902. Cette année-là, l’explosion du volcan avait provoqué une gigantesque nuée ardente, rayant de la carte la ville de Saint-Pierre et ses 30 000 habitants. En 1950, c’est au tour de l’Observatoire volcanologique de la Guadeloupe d’être créé. Celui de l’île de La Réunion, inauguré en 1979 pour surveiller de près l’intense activité du Piton de la Fournaise, est le plus récent des trois.

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« Chacun de ces observatoires, dont le fonctionnement est placé sous la direction de l’IPGP, remplit une mission principale de recherche scientifique et une mission complémentaire de suivi des risques volcaniques », explique Pierre Agrinier, physicien à l’IPGP et responsable des observatoires volcanologiques français. Les tâches d’observation de ces volcans sont accomplies par des scientifiques et ingénieurs de l’IPGP, de l’Institut national des sciences de l’Univers du CNRS et de l’Observatoire de physique du globe de Clermont-Ferrand : mesures en continu de l’activité sismique et de la déformation des édifices volcaniques, prélèvements réguliers d’eau et de gaz à des fins d’analyses géochimiques, observation par satellite des panaches éruptifs ou des déformations à plus large échelle.

Multiplier les études de cas

« L’ensemble de ces observations est mis régulièrement à la disposition de la communauté scientifique nationale et internationale via des serveurs dédiés, détaille Pierre Agrinier. Leur analyse contribue non seulement à affiner les modèles visant à comprendre la dynamique des différents types de volcans, mais aussi à améliorer notre capacité à prévoir de futures éruptions. » Pour autant, si les scientifiques savent assez bien anticiper l’éruption d’un volcan isolé comme celui du Piton de la Fournaise, c’est encore loin d’être le cas pour ceux qui dessinent l’arc des Antilles, à l’image de la Soufrière, et qui sont associés à des zones de subduction.

Ces édifices volcaniques de nature explosive et au tempérament capricieux disposent pour la plupart d’un complexe système hydrothermal. Or cette couche de roche saturée d’eau et traversée par les gaz chauds en provenance du magma constitue un véritable réacteur chimique dont les volcanologues connaissent très mal le fonctionnement : « C’est notamment par la multiplication des études comme celle que nous avons réalisée à la Soufrière que l’on parviendra à mettre au point un modèle interprétatif fiable de ce type de volcanisme », conclut Benoît Villemant.


Notes

1. Institut des sciences de la Terre de Paris (CNRS/UPMC).
2. « Evidence for a new shallow magma intrusion at La Soufrière of Guadeloupe (Lesser Antilles) : Insights from long-term geochemical monitoring of halogen-rich hydrothermal fluids », B. Villemant et al., Journal of Volcanology and Geothermal Research, septembre 2014, vol. 285 : 247–277.

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