JOURNAL DU CNRS N°252-253, JANVIER-FÉVRIER 2011

Chargé par le gouvernement de réfléchir à la sortie de crise, Élie Cohen, directeur de recherche au CNRS, nous livre sa vision de la conjoncture économique.

Après la faillite de la banque Lehman Brothers en septembre 2008, le système financier s’est retrouvé au bord du gouffre, provoquant une grave crise économique mondiale. Selon vous, comment va évoluer la situation en 2011?

Élie Cohen : L’année 2010 aura été celle du rebond : la reprise du commerce international et la demande issue des pays émergents ont fini par inciter les entreprises des pays développés à reprendre leurs achats et leurs investissements. L’année 2011 s’annonce en revanche plus incertaine, car les aides publiques ne sont plus là pour soutenir la croissance qui est désormais conditionnée uniquement par l’activité économique des entreprises et la consommation des ménages. Plusieurs signaux laissent donc penser que 2011 verra une consolidation des économies européennes et non une accélération de leur croissance. À l’inverse, des pays comme l’Inde ou la Chine, dont les économies sont tirées à la fois de l’intérieur, par de grands plans d’équipement et par le développement de la consommation, et de l’extérieur, par les besoins occidentaux, devraient mieux surmonter cette période de transition. (…)

Le Premier ministre vous a confié la réalisation d’un rapport proposant des pistes pour sortir notre pays de la crise. Comment allez-vous procéder ?

É. C. : Avec Gilbert Cette et Philippe Aghion, membres comme moi du Conseil d’analyse économique (CAE), nous avions rédigé un premier rapport sur les leviers de la croissance en 2007. Il s’agit à présent de l’actualiser à la lumière de la crise, de la contrainte budgétaire plus forte et de la nouvelle configuration européenne. Nous allons explorer différentes pistes pour stimuler la c roissance, en particulier dans le secteur industriel, en réfléchissant au potentiel économique de nos entreprises en fonction du modèle de production choisi.

Selon vous, une conséquence assez inattendue de la crise serait la récente réforme des retraites…

É. C. : En effet. Lorsqu’en 2007 le candidat Sarkozy s’était engagé à ne pas réformer le système des retraites, il ne se doutait pas qu’une crise financière viendrait déprimer massivement nos recettes fiscales. Avec l’augmentation du chômage, les cotisations sociales ont diminué alors même que la part du budget de l’État dédiée au financement des pensions de retraite continuait d’augmenter. Pour limiter nos dépenses publiques, Nicolas Sarkozy a estimé qu’il était socialement plus acceptable de plaider la réforme des retraites que celle de l’assurance maladie ou du chômage. À mon avis, repousser l’âge du départ à la retraite est cependant loin d’être suffisant pour espérer son f financement durable. Il faudra d onc soit décider d e passer à un régime de retraite à la carte, comme en Suède, soit se résigner à taxer les papy boomers dans la mesure où cette génération aura profité de carrières complètes et d’une accumulation de patrimoine sans précédent.

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